Textes / Presse



- Voyage dans les données du Monde, Gwenola Wagon, Infra-mince - revue de photographie, n°8, pages 154 à 163


- Découvertes (Arles3), oeuvre mentionnée par le Blog "Lunettes Rouges",
dans l'exposition "Voyage dans les données du Monde", Rencontres Internationales de la Photographie, Arles, 2013


"Les autres découvertes qu’on peut faire à Arles, ce sont d’abord les travaux des élèves de l’École, aux Ateliers, dans l’église Saint-Julien (jusqu'au 15 juillet) et surtout au dernier étage du bâtiment de l’École même (jusqu'au 12 juillet seulement) : dans cette ‘galerie du haut’, on peut voir les travaux d’une dizaine d’élèves (sous l’égide de Gwenola Wagon) sur l’inaccessibilité de certains lieux, dont la photographie ne peut rendre compte que de manière détournée (par exemple via Google Earth ou Street View) : c’est ainsi que Clément Gérardin (dont on voit ailleurs de beaux ‘rebuts’) offre des cartes postales bucoliques de Tchernobyl..."


- Corps/Espace, Lauriane Pigot, HBA - Webzine de Photographie Argentique n°1, Automne 2012, page 43


"D’abord il faut marcher. Partir d’un centre, bifurquer, emprunter une voie de chemin de fer. Se laisser guider par un itinéraire apparemment connu. Le trépied pèse lourd. Le corps est tendu, à la recherche d’un juste point d’équilibre entre le poids de l’appareil sur le dos et la lassitude des jambes. Passer sous une autoroute. Les graviers crépitent et raclent sous les semelles. Arrivée.

Nous sommes dans ce que nous appelons une Z.A. Zone d’Activités, zone industrielle, zone essentiellement inhabitable. Que se passe-t’il quand il n’y a plus d’activités ? Nous sommes un dimanche, on pourrait être un autre jour. Une semaine ne semble pas suffisante pour remplir ces lieux. Rejetés en marge de la cité, ces espaces – ces zones - sont des îlots de migrations temporaires. Parpaings, plaques de tôle, constructions pré-fabriquées, sans doute dans une autre zone d’activité, un peu plus loin. Ces lieux portent toutes les traces de l’urbanisme moderne. Si les bâtiments marquent la promesse d’une fonctionnalité extrêmement rationnalisée – pensée pour l’activité humaine, donc – ils restent hermétiques. Sans possibilité de s’y projeter, le paysage reste illisible. Désert humain. Faute de contenu imaginable, les constructions deviennent des enveloppes. Soit des formes, des sculptures émergeant de la friche, « zone blanche » qui les entourent.

Il m’indique où me positionner, me conseille une série de mouvements. D’essayer. Mon pull est orange. Pour qu’il contraste avec le paysage, j’ai enlevé mon manteau ; le vent me glace. Il y a peu de lumières, le mistral fait bouger la végétation : je dois me figer quand les bourrasques cessent. Comme ses autres modèles, il m’a placé loin dans le champ ; je me tords pour essayer de l’entendre, mais les mots sont avalés par les courants d’air. J’ai laissé mon portable dans mon manteau. Nous finissons par communiquer par gestes.

Peut-on habiter un tel espace ? Utiliser son corps pour tenter de le couvrir ? Le recoloniser ? Il y a une incompatibilité corps/espace lors de la prise de vue. Il y en a aussi une dans l’image. Le corps mime, se colle, mais se maintient malgré tout dans un entre-deux. Il réactive sa propre conscience de l’espace par le geste. Il continue l’architecture, la végétation. Mais, pourtant, en essayant de s’y fondre, il s’en détache irrévocablement. Comme les bâtiments construits en bordure de la ville, l’homme reste à l’écart. Finalement, ces photographies nous mettent face à un échec : celui du dialogue entre l’humain et l’environnement qu’il s’est créé. Dans la solitude de ces images, nous sommes des arpenteurs de notre propre désert."

- La Zone, Clément Gérardin, 2012


La Zone.
La périphérie, le lieu, son caractère. Saisir un fragment de son essence, ou l'inventer.
Tenter de clarifier le monde, de voir clair dans sa substance, se laisser saisir par l'agencement parfait et éphémère de l'instant. Marcher en quête... de quoi ? D'un lieu, d'une scène, d'un théâtre ?
Se débarrasser du corps pour mieux habiter l'espace. Partir à la recherche de ces lieux construit un jour, dans un but précis... Des endroits qui, ont été exploités, épuisés, avant d'être abandonnés.
Partir alors en quête de cette ruine, ou presque ruine. Se laisser fasciner par l'abjection.
Le lieu épuisé.
Voir cette tige d'herbe qui repousse au milieu des vestiges, ou l'imaginer.
Se projeter vers la destruction.
Marcher, dans un espace où d'autres ont marché, habités qu'ils étaient par un devoir, une fonction...
Revenir dans les lieux où les gens bien intentionnés ne vont pas, ne vont plus, pour quoi faire ?

La Zone.
Venir flâner là ou les autres travaillent. Là où ils feraient tout pour ne pas passer leur temps libre.
Attendre l'instant de silence, quand le fourmillement des occupations s’interrompt. Quand l'endroit se vide de ses activités frénétiques et au fond si futiles.
Et venir.
Observer avec curiosité les outils immobiles, les machines froides. Les bâtiments dans lesquels la poussière retombe lentement. Contempler cet endroit fait pour bruire, fait pour produire, fait pour rentabiliser, fait pour rembourser, fait pour bâtir, fait pour transformer, fait pour vendre, fait pour creuser, fait pour occuper, fait pour développer, fait pour l'activité...

La Zone.
Désertée, rejetée, cachée, désavouée.
La périphérie...
Arpenter la zone avec plaisir, par curiosité, par nécessité.
Qu'en faire ?
Qu'en fais-je ?
Sentir ces corps qui étaient là, qui seront là bientôt.
Et réinvestir l'endroit. Y disposer un geste, un instant. Chercher de nouveaux contacts, de nouvelles formes. Profiter de cette absence de corps utiles pour un instant y placer des corps inutiles. Produire pour un moment un acte artistique dans cet espace laid, sale, bruyant, gris. Cet espace qui détruit, cet espace qui se pense utile.
Qui m'attire.
Qui me répugne.

La Zone.
L'habiter un instant alors. imaginer un nouveau sens. Danser sur la ruine, danser sur ce qui bientôt sera ruine. Sera silence, sera oubli.
Choisir un endroit.
Intégrer le geste dans l'essence du lieu. Suivre la courbe d'une machine, la ligne d'un bâtiment, la rigidité d'un pylône, la tension d'une cheminée, la verticalité d'une usine.
Profiter de l'espace, pour en faire un outil.
S'agripper à un grillage, poser ses mains sur le fer graisseux, s'arc-bouter contre une barrière métallique, une porte, un escalier...
Chercher la tension...
Ou la simuler.

Figer ce lieu dans une autre action, une autre dimension, une autre fonction.
Figer le geste.
Par l'image.
Réinventer l'endroit, son identité, son usage. S'abstraire de son histoire, de son vécu, pour mieux le recréer. Ré-imaginer les formes de son architecture comme des lignes, des masses, des volumes simples.
Se les approprier.
Parler pour ces formes, parler avec ces formes. Sans parler d'elles.
Se passionner pour une matière, une texture, une couleur. L'affrontement du bâti et du végétal, du bâti avec le végétal. Comprendre la manière dont il empiète sur la nature, l'asservit, l’appauvrit, la dévore.
Rester malgré tout hors du conflit.
Constater en spectateur impuissant. Cheminer le long du propos, suivre les voies détournées. Mais rester autour. Et finalement ne pas entrer dans le vif du sujet, ne pas même sembler s'y intéresser.
Pour dire quoi ?
Pour dénoncer qui ?
Pour émouvoir comment ?

La Zone.
Ne pas porter cette vérité, ni cette histoire. Peut-être par lâcheté, mais pour quoi faire ? S'écarter de la valeur informative de l'image, la prendre comme un dessin, un aplat de couleur.
Se servir dans ces fragments de réalité rencontrée, là ou plus loin. Peu importe après tout.
Recomposer un ensemble, une suite. Tenter des rencontres de formes, d'espaces, de gestes. Apposer deux couleurs l'une à l'autre, enfermées dans leur cadre respectif. Appuyer des masses les unes par rapport aux autres, les unes contre les autres. Construire une structure dans laquelle les images prennent une nouvelle cohérence, une nouvelle substance. Mélanger les êtres, les temporalités, les localités. Mélanger les gestes et les architectures. Mélanger le Sens. Mélanger le Vrai.

Inventer de nouveaux lieux.
Un nouveau lieu.
Mon nouveau lieu :

La Zone.